Le 27 mai 1816, la France sortant de l’Empire, un certain Joseph François Souque fait jouer au théâtre royal de l’Odéon, sous le pseudonyme de M. de Saint-Georges, une comédie en cinq actes intitulée Le chevalier de Canolle, ou un épisode de la Fronde (Paris, F. Didot, 1816). La Biographie universelle… considère que “les agitations et les intrigues de la Fronde y sont caractérisées avec autant de finesse que d’exactitude”.* En novembre 1816, La Petite Chronique de Paris…, qui n’a pas parlé de la pièce en mai, signale “À l’Odéon […] quelques descendans du Chevalier de Canolle,” semblant ainsi dénigrer un certain succès de la pièce.

  • Édition numérique de la pièce (archive.org, plusieurs modes de lecture ou de téléchargement sont proposés).
  • Lot d’estampes de costumes de la pièce (Gallica). À première vue, le style est plus Empire que Louis XIII…
  • La pièce a été adaptée en opéra : Le chevalier de Canolle, opéra-comique en trois actes, paroles de Mme Sophie Gay, musique de M. Fontmichel, créé à l’Opéra-Comique le 6 août 1836. Voir la critique dans le Journal des demoiselles, 1836, p. 284-285.
  • Enfin, on retrouvera Canolle, devenu Canolles, dans La guerre des femmes, drame en cinq actes d’Alexandre Dumas père, 1850, même si “ni Dumas ni Maquet ne se montrent ici à la hauteur d’un Shakespeare ou d’un Marivaux” (F. Rahier).
  • Joseph François Souque (19/09/1767, Paris – 14/09/1820, Paris) repose au Père-Lachaise. ((Notice du site du Père-Lachaise : “François Joseph Souque voit le jour à Paris le 19 septembre 1767. Sa famille est d’origine modeste, son père, Jean Bertrand Souque est chirurgien et maître ès Arts ainsi que plusieurs membres de sa famille. Pendant la Révolution, il se lia avec les Girondins, notamment avec Brissot, avec qui, il fut arrêté [à Moulins*]. Il est remis en liberté après le 9 thermidor an II, il entra en diplomatie comme secrétaire de légation en Hollande [pendant trois ans*]. Le 11 floréal an VIII, il fut nommé dans l’administration préfectorale comme Secrétaire général de la Préfecture du Loiret. Excellent administrateur, il bénéficiait de l’estime de ses concitoyens, qui en 1803, le portèrent au collège de l’arrondissement d’Orléans. Sa situation, assez modeste, estimée à trois mille francs de revenus annuels ne lui permettait pas de faire partie des 600 plus imposés du Loiret, ce qui n’empêcha point le collège de département de 1808 de l’honorer de sa confiance en le proposant à l’Empereur pour la députation du Loiret, après une élection au deuxième tour de scrutin. [Puis secrétaire-général du gouvernement de Catalogne.*] En 1814, il adhéra à la déchéance de l’Empereur Napoléon, et par voie de conséquence, fut élu à la chambre des Cent-jours contre le candidat bonapartiste [M. Petit de la Fosse*] le 10 mai 1815. Il parla en faveur du gouvernement représentatif et de la liberté de la presse. Il entra dans la vie privée à la seconde Restauration. Également auteur dramatique, il nous a laissé deux comédies en prose : Le Chevalier de Canolle et Orgueil et vanité, qui furent jouées avec succès à l’Odéon et au Théâtre-français en 1816 et en 1819. Il était chevalier de la Légion d’Honneur. François Joseph Souque s’est éteint à Paris le 14 septembre 1820. Il repose dans la 20e division.” [consulté le 05/10/2014] || Mandats à l’Assemblée nationale ou à la Chambre des députés : du 02/05/1809 au 04/06/1814, Loiret ; du 04/06/1814 au 20/03/1815, Loiret ; du 10/05/1815 au 13/07/1815, Loiret, Constitutionnel libéral. [Selon le site de l’Assemblée nationale, consulté le 05/10/2014.] || Voir Biographie universelle, ancienne et moderne… vol. 82, 1849, et aussi Correspondance et papiers de J.-P. Brissot, p. LXIV-LXV, 339-346, 348-351, 353-354, 368, 400, éd. 1912 disponible dans Gallica, consultée le 05/10/2014.))

Voici l’Avis préliminaire (prudent) que l’auteur a publié en préface de la pièce :

“Le sujet du Chevalier de Canolle appartient à l’histoire : mais la célébrité de ce malheureux gentilhomme se réduit à sa condamnation et à sa mort. Les Mémoires du temps n’en disent que quelques mots ; ceux de L*** ((Lenet, auteur de ces Mémoires, était conseiller d’état, agent et confident intime de la maison de Condé.)) contiennent plus de détails, mais ils ne sont relatifs qu’à son exécution. Le duc de La Rochefoucauld, et quelques autres personnages remarquables de la fronde, se trouvaient à Bordeaux pendant cet événement. C’était une trop bonne fortune littéraire dans mon sujet pour n’en pas profiter. J’essayai donc de les peindre, sur-tout le duc, tel qu’il était alors. J’ai substitué la duchesse de Longueville à la jeune princesse de Condé, qui présida le conseil dans lequel fut condamné Canolle, parce que l’esprit et le caractère de la duchesse devaient la rendre plus piquante au théâtre que sa belle-sœur : et, en cela, je ne crus pas faire de tort à sa mémoire, puisque, quelques mois après la catastrophe du baron de Canolle, elle vint se mettre avec son frère, le prince de Conti, à la tête des troubles toujours renaissants de la Guyenne. Voilà quels sont à-peu-près les emprunts que j’ai faits à l’histoire. Mademoiselle de Sainte-Alverte, le caractère du chevalier de Canolle, ses amours, sa liaison avec la maison de Longueville, l’espèce d’engagement qu’il prend avec la duchesse d’entrer dans la fronde, s’il obtient la main de sa maîtresse, le bal donné à la ville de Bordeaux, etc., ces épisodes et ces personnages sont à l’auteur. J’ai cherché à rendre avec exactitude l’esprit, les mœurs, et quelquefois même jusqu’au langage, de cette singulière époque. Cependant, comme la fiction l’emporte de beaucoup dans mon ouvrage sur la réalité, je me suis abstenu de lui donner le titre d’historique. C’est pousser assez loin le scrupule dans le temps où nous sommes. J’ai cru que cette omission volontaire me ferait juger avec moins de rigueur.

En faisant figurer dans l’intrigue de ma comédie des personnages célèbres d’une époque assez récente, je me suis cru obligé d’y apporter beaucoup de ménagement. Je ne pense pas qu’on puisse m’accuser d’avoir exagéré leurs torts ; on conviendra au contraire que je pouvais me donner plus de carrière, en peignant l’ambition des grands, et les excès des parlements, sous la minorité de Louis XIV. Après vingt-sept années de vicissitudes et de divisions politiques, le premier besoin pour une nation qui a été agitée, c’est celui du repos sous un gouvernement paternel. Le sujet de la comédie du Chevalier de Canolle m’a paru propre à calmer et à réunir les opinions. S’il pouvait y avoir à cet égard la moindre méprise sur mon intention, elle deviendrait un des plus remarquables, un des plus singuliers écarts de l’esprit de parti.”

Une définition de la Fronde – après l’Empire… :

“Ne remarques-tu pas que cette guerre civile, dont le siège de Bordeaux n’est qu’un incident, est en tout différente de celles des derniers règnes : la ligue, excitée par le fanatisme et l’intolérance, eut un caractère sanglant et sombre ; la fronde au contraire, vague et futile dans son but, puisqu’il ne s’agit que du changement d’un ministre et de quelques intérêts particuliers, présente le mélange le plus singulier et le plus piquant d’intrigues, de fêtes, de galanteries, et de combats. C’est un échange continuel de manifestes, de chansons, de déclarations de guerre et d’amour. On se divertit, on se fâche ; on change de belle et de parti, on rit ; sur-tout on raille. Amis et ennemis, on se moque de tout le monde ; et, si les traits du ridicule pouvaient porter des blessures mortelles, il y a long-temps que le combat aurait fini, faute de combattants. Ma foi ! je t’assure que cela peut s’appeler une véritable guerre nationale ; et penses-tu que cela dure encore longtemps ?” (Acte I, scène III)

Origine, réception et fortune :

J. F. Souque parle-t-il d’un Canolle de la Fronde ? Ou de la Révolution ?…

“Comme aussi du pauvre Canole,
Puisses tu perdre la parole
De la façon qu’il la perdit
Quand à Bourdeaux on le pendit !” (extrait de La Mazarinade, de Paul Scarron, voir par exemple dans Célestin Moreau, Choix de Mazarinades, tome 2, 1853, p. 249. Moreau précise en note : “Le chevalier de Canolle, lieutenant-colonel du régiment de Navailles, fait prisonnier dans l’île Saint-Georges par les Bordelais, fut pendu en représailles de l’exécution de Richon, gouverneur du château de Vayres pour le parlement de Bordeaux.”)

“CANOLLE ou KNOLLE (Le chevalier DE), ((voire de La Quanaule…)) né en 1774, à Paris, d’une famille originaire d’Angleterre, n’avait que dix-huit ans lorsqu’il se trouva, en qualité de garde national, auprès de Louis XVI, le 20 juin 1792, au moment où la populace s’était portée en tumulte au château des Tuileries. Le jeune Canolle eut alors le bonheur de sauver la vie au Roi en se jetant sur l’un des assaillants, qui menaçait Louis XVI avec sa pique et criait qu’il voulait le tuer. Désarmé par M. de Canolle, ce misérable tomba aux genoux du monarque, et se mit à crier, vive le Roi ! Louis XVI, voulant récompenser cet acte de dévouement, détacha de sa boutonnière la croix de St.-Louis, et daigna l’attacher lui-même à celle de M. de Canolle. Quelques temps après, le 10 août, MM. de Canolle père et fils furent arrêtés, et jetés dans les prisons, où ils restèrent pendant quinze mois. Traduits devant le tribunal révolutionnaire, le 23 mai 1794, le père fut condamné à mort et le fils acquitté. Présenté, en 1814, au Roi et à S. A. R. Madame la duchesse d’Angoulême, M. de Canolle fut nommé lieutenant de la compagnie de gendarmerie des chasses de S. M. En septembre 1815, le roi de Prusse le décora de la croix de l’ordre du Mérite de Prusse.” (Biographie des hommes vivants ou histoire par ordre alphabétique de la vie publique de tous les hommes qui se sont fait remarquer par leurs actions ou leurs écrits, Paris, Michaud, 1816-1819, p. 37, en ligne dans Gallica.)

À suivre…

Conclusion :

Une comédie en 1816, un opéra en 1836 et un drame en 1850 ! Comment expliquer qu’un personnage de la Fronde bordelaise assez peu connu ait eu une telle fortune dans la première moitié du XIXe siècle ? Entre la fin de l’Empire et la publication de la Bibliographie des Mazarinades ? Il faut croire que soudainement la Fronde intéressait les contemporains de la Restauration et de la Monarchie de Juillet, dans une période d’essor important de la science historique, dans laquelle cependant penseurs et auteurs littéraires pratiquaient la métaphore et la transposition pour contourner la censure royale. Selon les besoins de la pièce, Canolle vit ou meurt à la fin ; ce n’est pas essentiel. Il ne s’agit ni d’une hagiographie ni d’une réhabilitation mais bien d’un prétexte. Opposer Paris à Bordeaux ? Pendant la Fronde comme en 1814 ? Peut-être. Chaque pièce a son intrigue et ses objectifs discursifs ; Canolle était là, vaguement romantique, proto-d’Artagnan.
N’oublions pas non plus que ce que nous appelons communément confiscations révolutionnaires, malgré la connotation d’enfermement du mot et la réalité des acquisitions privées, signifie de fait que de grandes quantités de documents qui se trouvaient sous clef parfois depuis des siècles dans des demeures aristocratiques ou ecclésiastiques devenaient un bien public, disponible à la consultation, à la citation, à la réédition et à la réutilisation. C’est en tout cas la période durant laquelle Célestin Moreau, trouvant à la fois sa motivation et sa documentation, se lança dans l’immense entreprise de la Bibliographie des Mazarinades, achevée en 1848 – ironie de l’histoire – et publiée en 1850-51, quand la Société de l’histoire de France put reprendre ses activités.

Le chevalier de Canolle, ou un épisode de la Fronde, comédie (1816)

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